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Quatre enjeux, quatre idées force

Conférence de René Longet – Onex, 13 octobre 2022

 

Conférence donnée dans la cadre de l’AIO, animée  par Denis Gardon
Association  des Intérêts d’Onex 

Jamais dans son histoire l’humanité n’a connu des défis d’une telle ampleur, avec une redoutable dynamique tant dans l’espace que dans le temps. Car c’est toute la planète qui est concernée.

Nous tous sentons confusément que nous sommes à la fin d’une époque, que nous entrons dans une zone de fortes turbulences. A quoi s’accrocher, comment distinguer l’important de l’accessoire, ce qui est bénéfique de ce qui ne l’est pas, et au nom de quelles valeurs?

La manière dont nous voyons le monde détermine la manière dont nous y agissons et c’est là qu’il nous faut des orientations, des clés de lecture, des propositions concrètes de mise en oeuvre.

Je vais développer ce sujet à travers 4 enjeux clé de notre temps, et proposer 4 idées- force en réponse :

 

1er enjeu-clé : La mondialisation de nos réalités et la faible capacité à la piloter.

L’humanité est divisée, morcelée, mais son action a aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, des effets globaux.

Prenons quelques exemples :

    • Les flux financiers qui ne vont pas au bon endroit, il y a un fossé entre moyens etbesoins…
    • Les trafics de drogue et la course aux armements
    • L’accélération du dérèglement climatique
    • La surexploitation et la pollution des océans (matières plastiques …)
    • Les flux migratoires dus au changement climatique, aux conflits, au manque deperspective

Les fake news qui divisent les sociétés et sèment la méfiance.Aucun de ces enjeux ne peut être traité dans un seul pays, tous exigent une coopération internationale efficace, car ils doivent être traités à l’échelle où ils se posent, et de préférence à la source…

Le bon fonctionnement des plateformes internationales d’évaluation, de documentation, de négociation est décisif si nous voulons avoir la moindre chance de reprendre le contrôle sur les déséquilibres croissants sur cette Planète.

Une question clé est la territorialité politique : quelle est la bonne échelle pour traiter des enjeux ? Cela va du quartier au monde, en passant par le continent. On va redécouvrir le besoin d’Europe quand on va se rendre compte que seul aucun des Etats qui la composent ne peut peser face au monde que les diverses puissances se disputent. Une Europe sociale, écologique, solidaire, fédéraliste. Une Europe forte et politiquement unie. Une Europe patrie commune des Européens. On peut dire la même chose de l’ONU, qui est nettement meilleure que la somme des ses 200 Etats membres, et de ses nombreuses organisations spécialisées, de l’OMM à la FAO, de la CNUCED à l’OIT ou à l’OMS.

La première idée-force est donc de disposer des outils de concertation et de régulation des enjeux globaux, à la bonne échelle géographique. La tendance au repli sur l’Etat national comme seul espace légitime de régulation nous conduit à l’impuissance organisée. Reprendre le contrôle signifie pouvoir le faire dans les dimensions territoriales que cela exige – du quartier au monde.

2e enjeu-clé: nous sommes face à un progrès technique qui s’accélère, sans qu’on ne nous ait jamais rien demandé, qui surgit indépendamment des besoins. Car les grandes innovations qui ont tout changé n’ont jamais fait l’objet d’un débat large avant de les généraliser. En fait il n’y a jamais eu de décision formelle, leur promotion est une décision d’industriels voulant lancer un produit, un processus, un procédé qu’ils espèrent faire fructifier, indépendamment de son utilité objective souvent. Un autre acteur clé sont les Etats et tout particulièrement le secteur militaire toujours à l’affût d’innovations.

Ce qui est le plus structurant pour nos vies échappe ainsi au débat de société, aux processus démocratiques. Pour notre temps, on connaît les milliardaires de

l’informatique, on connaît des personnages comme Ellon Musk qui continuent de véhiculer l’esprit de conquête. Là aussi le fossé entre moyens et besoins est patent.

Les innovations structurantes ont surgi d’un coup et se sont imposées :

    • La machine à vapeur sans laquelle on n’aurait pas pu multiplier les capacités de production et de transport, et aller coloniser de vastes parties du monde : le passage des comptoirs commerciaux à la colonisation de peuplement est impensable sansbateau à vapeur ni chemin de fer
    • L’automobile qui a tout changé, notre relation à l’espace, au temps, aux autres, aupétrole…
    • L’informatique qui a changé notre manière de se documenter mais aussi d’influenceret de se laisser influencer.
    • L’atome ; Einstein disait à son sujet que nous étions des Cro-Magnon mais avec labombe atomique, en ajoutant que si eux l’avaient eue, nous ne serions pas là pouren parler…
    • La chimie de synthèse, à la base des gaz de combats comme aussi des pesticides,des médicaments ou des additifs alimentaires.

Les matières plastiques, si pratiques à l’usage mais dont on n’a pas mesuré leseffets secondaires… pour tous ces cas le principe de précaution reconnu internationalement depuis 1992 (dans le cadre des 27 Principes de Rio) est essentiel.Qui définit les limites de l’usage d’une innovation, qui en établit le mode d’emploi pour qu’un progrès technique soit aussi un progrès éthique, humain, social?

Qui fait le tri entre les effets indésirables à éviter et ceux positifs à promouvoir ? Qui contre l’illusion que la science va bien pouvoir résoudre tous les problèmes qu’elle a contribué à créer? Qui peut orienter intelligemment nos capacités techniques et économiques ?

La seule loi de l’offre et de la demande solvable ne peut pas représenter l’intérêt général, car il y aura toujours quelqu’un pour payer une nouvelle manipulation génétique, une fusée pour aller sur Mars ou que sais-je encore.

La 2e idée-force est dès lors d’avoir des garde-fous et des procédures qui permettent d’orienter le progrès technique dans la bonne direction, à savoir une juste hiérarchie des besoins.

Plus l’angoisse devant les crises qui s’accumulent croît, plus les réponses populistes sont populaires, avec leur lot de simplifications abusives, de démagogie et de flatterie de ceux qui ne se sentent pas respectés par les décideurs.
Mais les recettes du populisme sont dangereuses. Elles ont tendance à aller dans le sens inverse de ce qu’il faudrait faire. On renforce le conservatisme social, on poursuit de plus belle dans la destruction de l’environnement, qu’on ferait mieux d’appeler capital naturel, qui est pourtant la mère de toutes les batailles.

En réduisant les lignes de force du populisme à son noyau dur, il peut se formuler ainsi : pour exister face à l’extérieur et à cet étranger qui nous menace, il faut faire corps avec la nation et se ranger sous la bannière de l’homme fort, du chef de tribu, de celui qui a réussi, aussi. Dans une sorte d’immuabilité culturelle, pourtant démentie par l’histoire,

des peuples, dont il faut maintenir la fictive « pureté », au prix de menacer les minorités que tout territoire comporte.

Il y a aussi cette attirance pour les dictateurs et la dictature, Trump a pu, sans perdre aucun de ses soutiens, dire du dictateur de la Corée du Nord que c’était « a nice guy », ceci dans une Amérique où l’anticommunisme reste un réflexe quasi reptilien. La plupart des populistes admirent la gouvernance russe ou chinoise, oubliant volontiers qu’ils n’y auraient aucunement la possibilité (dont ils abusent en Occident) d’y critiquer quoi que ce soit… La symétrique au sein du monde musulman de ces dérives se trouvant dans l’islamisme et dans l’extrémisme hindouiste et bouddhiste, que les populistes dénoncent à juste titre mais avec lesquels ils ont pourtant bien des points communs.

Enfin, une vision du monde marquée par une conflictualité permanente et consubstantielle à la condition humaine, sans vraie volonté de contribuer au mieux « vivre ensemble » et de coopérer dans l’intérêt de la bonne gestion de notre petite Planète.

Ce qui nous amène au 3e enjeu-clé: les valeurs autour desquelles nous voulons organiser le vivre ensemble sur notre petite planète.

Est-ce la loi du plus fort, la logique des hommes forts, de l’arbitraire, les attitudes tribales et tripales, de la domination : de l’homme sur la nature, de l’homme blanc sur les autres humains, de l’homme sur la femme…. ou sont-ce des droits et des devoirs égaux pour tous et la durabilité, deux enjeux qui d’ailleurs se conditionnent mutuellement ?

L’être humain est fondamentalement ambigu, dans des proportions variables chez chaque individu. L’art du leadership moral est de stimuler les bons côtés des humains, la perversion d’un leadership immoral est de légitimer et de soutenir les mauvais côtés.

Mais il y a, pour quelques leaders du bien, comme Gandhi ou Mandela (qui disait, en sortant de 28 ans d’emprisonnement, que désormais qu’il était libre, sa tâche était de libérer les Blancs de la peur qu’ils avaient des Noirs, peur qu’il a identifiée comme la source de l’Apartheid), bien plus de leaders du mal, de démagogues qui soufflent sur la braise et attisent les bas instincts de revanche, de frustration, de jalousie, de détestation.

Le dernier rapport du PNUD intitulé « Temps incertains, vies bouleversées : façonner notre avenir dans un monde en mutation » dresse un tableau de ces difficultés. En voici quelques extraits.

« Partout dans le monde, les personnes nous confient qu’elles se sentent de moins en moins en sécurité. (…). Comment s’étonner alors que de nombreux pays craquent sous la pression de la polarisation, de l’extrémisme politique et de la démagogie – des phénomènes exacerbés par les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle et autres technologies puissantes ? Ou que, dans un incroyable revirement, le recul de la démocratie au sein des pays soit devenu la norme plutôt que l’exception, ce en dix ans seulement ? Ou encore que, pour la toute première fois, la valeur de l’indice mondial de développement humain ait baissé pendant deux années consécutives dans le sillage de la pandémie de COVID-19 ? (…)»

On parle beaucoup, dans le contexte du changement climatique ou de l’affaiblissement de la biodiversité des risques d’effondrement écologique, de collapse écologique. Mais avant l’effondrement écologique, il faut craindre l’effondrement politique de l’idéal démocratique, des droits humains, d’une redevabilité de l’Etat, d’un Etat de droit, efficace et au service de valeurs humanistes. Divers pays ont déjà implosé, l’Etat est en miettes, le pays livré aux bandes criminelles, on peut citer Haïti ou plus près de nous le Liban, autrefois dit la Suisse du Proche Orient, la Lybie, la Somalie…

Les dictatures progressent régulièrement, les coups d’Etat ne se multiplient, de la Birmanie au Soudan, les régimes autoritaires ont de moins en moins de scrupules, la Russie retrouve les réflexes dictatoriaux et agressifs, et la Chine ne tolère plus aucune discussion ni écart par rapport à la doctrine du parti. L’Iran n’hésite pas ces temps-ci de tirer sur sa jeunesse, qui n’en peut plus, en particulier sa partie féminine, comme la Chine l’avait fait sur la place Tien-An-Men en juin 1989, tout ça pour que la clique au pouvoir puisse le garder le plus longtemps possible. Fait majeur : désormais une majorité des humains vivent sous des régimes qui ne sont pas des Etats de droit.

Les Tibétains, les Ouigours, les habitants de Hong-Kong, alors qu’une convention garantissant leurs droits avait été signée entre la Chine et la Grande-Bretagne en savent quelque chose et nous avons une pensée pour ceux de Taïwan qui sont particulièrement détestés du pouvoir chinois, car ils sont la preuve vivante que la mentalité chinoise est tout à fait compatible avec la démocratie et les droits de l’homme, choses que les dictateurs du monde pointent du doigt comme une invention occidentale, voire néocolonialiste, dans une inversion et une perversion particulièrement choquante des termes.

La 3e idée-force est donc de revendiquer l’universalité des droits humains, de l’humanisme, de la dignité humaine indivisible.

Et nous arrivons à la 4e idée-force : le modèle économique dominant, car tout finalement nous ramène à l’économie qui n’est autre que notre manière de gérer et de répartir les ressources.
La société de consommation et des loisirs de l’après-guerre a permis au monde industrialisé de passer en quelques décennies de la pénurie, de la pauvreté, des horaires sans fin à une «corne d’abondance» longtemps sujets des contes de fées. Elle a apporté à des centaines de millions de personnes confort, facilités techniques, loisirs inespérés et niveau de vie appréciable et apprécié.

Mais c’est une société de consommation inégalitaire, et dont le moteur est davantage l’envie que le besoin. Voici un siècle, Charles Kettering, vice-président de General Motors1, affirmait que « La clé de la prospérité économique c’est la création d’une insatisfaction organisée ». C’est aussi une société du prêt-à-jeter et du presse-bouton qui nous a détachés du cycle de la matière et du vivant et nous a fait oublier les conséquences écologiques et sociales de nos actes; il suffit de penser à l’omniprésence déjà évoquée des molécules de synthèse et des particules de matières plastiques, ou des prix dérisoires de certains aliments ou textiles, dus à des conditions de travail qui ne devraient pas exister.

Enfin c’est une société sans projet collectif, dont le message est avant tout individualiste : enrichissez-vous, le bonheur est dans l’accumulation des activités, des biens, des déplacements, etc. Dans tout cela, une fois un niveau de prospérité

 

raisonnable atteint, richesse matérielle et richesse humaine, biens et liens, quantité et qualité ne sont pas dans une bonne relation.

Enfin, ce modèle présente le paradoxe de mettre en péril les capacités de production des systèmes naturels (climat viable et vivable, atmosphère respirable, eau de qualité et de quantité suffisante, sols fertiles, animaux, plantes, ressources océaniques et minérales), car la nature travaille et accumule du capital, sans pour autant parvenir à répondre aux besoins de base d’une bonne partie de l’humanité se trouve privée de soins, d’eau propre, d’assainissement, d’un toit digne de ce nom, d’une alimentation suffisante et saine, d’éducation…

Mauvaise gestion des ressources et inégalités vont de pair, comme l’illustre l’accès à l’eau : 2,4 milliards d’humains sont privés d’assainissement des eaux usées et 785 millions ne disposent pas d’eau de qualité potable. Plus de 2 milliards de personnes sont soumises à des restrictions d’eau durant au moins un mois sur douze, et 500 millions les connaissent toute l’année. Mais quelques kilomètres plus loin, les piscines des hôtels, les terrains de golf et les jardins particuliers ne manquent de rien.

40 % de l’humanité, soit 3,4 milliards de personnes, doivent survivre avec moins de 5,5 dollars par jour. 60 % des travailleuses et travailleurs sont occupés dans le secteur informel. Selon l’OMS, une moitié de l’humanité n’a pas accès à des soins adéquats.

Le Rapport sur les inégalités mondiales publié au début de cette année souligne que «les 10 % les plus riches de la planète captent 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n’en gagne que 8 %. (…) La moitié la plus pauvre de la population mondiale est pratiquement dépourvue de patrimoine, puisqu’elle ne possède que 2 % du total. À l’inverse, les 10 % les plus riches en détiennent 76 %.2»

Cela est vrai entre les pays mais aussi dans les pays. Au Royaume-Uni, près d’un tiers des enfants grandissent dans la pauvreté3; pour l’UE la moyenne est d’environ 25 %, selon l’Agence européenne des droits fondamentaux. Pour la France, les rémunérations des hauts cadres de grandes entreprises explosent, on lisait dans le Monde du 22 avril que les dirigeants des 40 plus grandes entreprises cotées en bourse (CAC40) avaient touché en moyenne 4,5 millions de rémunération en 2020… et 8,7 en 2021… alors qu’une précarité croissante se répand au sein de la population. Parmi les catégories mal payées, on trouve beaucoup de celles et ceux qui font vivre les rouages de nos sociétés.

Il faut en finir avec ces injustices insoutenables. Chaque être humain naît libre et égal en chances et en droits ; nous avons à tenir cet engagement fondateur.

Depuis une bonne génération, le ressort est cassé. La « prospérité » ne « percole » plus à travers les strates sociales et les territoires ; la garantie du plein emploi et l’ascenseur social, qui pouvaient un temps légitimer le modèle, ne sont plus là.
Et le culte des gagnants coïncide avec la fabrique de perdants.

Epuisant la Terre et les humains, ce modèle tourne en boucle: qu’il se bloque et c’est la catastrophe sociale, qu’il redémarre et on va à la catastrophe écologique. Malheureusement, il reste à ce jour l’horizon majeur de la plupart des décideurs politiques pour qui faire croître le disponible est le ressort principal de l’action publique.

 

Ce n’est pas une fois la prospérité acquise qu’on peut se « payer » les dimensions écologiques et sociales ; ce sont ces dernières qui constituent les vrais enjeux de l’économie, sa base et son but. En 2009, l’équipe du chercheur suédois Johan Rockström identifiait neuf « frontières écologiques4 » : le changement climatique, les atteintes à la biodiversité, les bilans du phosphore et de l’azote, la dissémination de substances de synthèse, l’altération du cycle de l’eau les atteintes aux sols, la pollution atmosphérique, l’acidification des océans et la dégradation de la couche d’ozone stratosphérique. Les six premières nommées sont déjà franchies, et les effets commencent à en être visibles et sensibles de par le monde. Ce n’est pas de l’ »environnement » mais la base de notre existence, le capital naturel avec lequel nous pouvons ensuite travailler.

En 2020 l’humanité a franchi une autre limite : le poids des objets fabriqués (y compris les bâtiments et les infrastructures) dépasse désormais le poids de tout le vivant sur Terre, qui, lui, a diminué de moitié en deux cents ans. Aujourd’hui «si chacun vivait comme un Nord-Américain moyen, il nous faudrait presque 5 planètes Terre pour répondre de manière pérenne à nos besoins ! » Pour l’Europe, ce ne sont « que » 2,7 planètes. « Le dépassement écologique global concerne aujourd’hui une majorité de la population mondiale», mais «à peine plus de 15 % de la population mondiale » sont responsables, de manière inégale «d’un tiers de l’empreinte écologique de l’humanité5

Déjà face aux montées des périls des années 1930, Emmanuel Mounier, fondateur du personnalisme, stigmatisait la dérive d’une économie qui a « soumis la vie spirituelle à la consommation, la consommation à la production et la production au profit, alors que la hiérarchie naturelle est la hiérarchie inverse6 » et souhaitait « conférer au politique une finalité nouvelle : protéger l’homme contre ses œuvres7 ».

En 1987 devant l’empilement des crises (déjà !), une commission des Nations Unies définit un nouveau paradigme, appelé développement durable, soit : «Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs». Dans la définition des besoins, on partira des besoins essentiels des plus démunis.

C’est une révolution copernicienne par rapport à l’idéologie dominante de l’époque (chute du Mur et de l’URSS, triomphe du néolibéralisme) de réduire les entreprises au seul rôle de maximiser le retour sur investissement, quels qu’en soient les effets écologiques ou sociaux de leur produits et de leur manière de produire. Là on donne à l’économie une double mission : de préserver la capacité productive des ressources naturelles et de veiller à ce qu’il y en ait assez pour tous aujourd’hui et demain. Comme déjà dit, l’économie doit s’insérer dans les capacités des systèmes naturels, faute de quoi elle détruit ses propres bases, et s’inscrire dans une hiérarchie des besoins, faute de quoi elle détruit sa raison d’être.

Autant dire que le combat pour changer de paradigme est rude et loin d’être gagné, malgré la finance durable, la transition énergétique et les risques majeurs climatiques. Et en 2011, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) appelle de ses voeux « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources8».

 

Ce ne sont pas là des aménagements cosmétiques, car comme le constatait le Sommet du développement durable de 2002: « Des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale9».

Le problème n’est pas, comme certains idéologues l’ont martelé durant 50 ans, l’intervention de l’Etat, c’est sa non-intervention ! Il ne s’agit aucunement d’étatiser l’économie mais de mettre les curseurs au bon endroit, et de définir les conditions cadre pour l’action des acteurs.

Dans une économie de la durabilité, les entreprises gagneront leur rentabilité – plafonnée – par des activités socialement et environnementalement positives et passeront :

    • de la sous-enchère globale à un commerce équitable10 et à la résilience locale ;
    • du fossile et du fissile aux énergies renouvelables et à la sobriété énergétique ;
    • de l’obsolescence organisée à l’optimisation de la durée de vie, au recyclage et à laréutilisation ;
    • de l’agro-industrie à l’agro-écologie – d’après de la FAO11 la seule façon de nourrirune population croissante sans dégrader les terres et la profession agricole ;
    • de la finance spéculative et hors sol à la finance durable12.

La chimie produira des substances à l’innocuité établie ; l’aéronautique s’investira dans le transport ferroviaire ; le pétrole et le plastique se reconvertiront dans les énergies renouvelables et les matériaux sans impact négatif.

Avec l’économie circulaire13, on souligne la hiérarchie des besoins et considère qu’un déchet est une ressource au mauvais endroit. Pouvoir réparer des objets est une forme de qualité de vie, avec de nombreux emplois pérennes à la clé. Il ne s’agit pas seulement de davantage réparer, mais de moins acheter de neuf, de partager des équipements ; pas seulement de davantage recycler, mais d’extraire moins de matières premières.

Cette reconversion de nos activités doit être accompagnée d’une réduction des inégalités, être menée de façon participative et donner lieu à une forte création d’emplois utiles, « décents » et pérennes. Lorsque le plein emploi ne peut pas être atteint, un revenu minimum garanti, avec des contreparties d’engagement sociétal, devra s’imposer14. Il s’agit d’assurer l’indispensable conciliation des fins de mois des individus et des entreprises, et des fins de mois de la planète ; l’Accord de Paris emploie d’ailleurs la notion de « transition juste15».

La politique sociale veillera à ce que les besoins de base puissent être satisfaits aussi en cas de solvabilité insuffisante (par exemple : subventions à la personne pour assurer l’accès «à une alimentation saine, nutritive et suffisante» prévue par l’Agenda 2030, cible 2.1). Heureusement, la transition vers la durabilité offre de vrais gisements d’emplois :

• L’OIT estime que la transition énergétique et l’économie circulaire créerait en termes nets 25 millions d’emplois16.
• L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) indique qu’aux États- Unis, il y a huit fois plus d’emplois dans les énergies renouvelables que dans le charbon tant porté aux nues (850 000 par rapport à 100 000).

 

• En septembre 2019, l’ONU annonçait « 380 millions de nouveaux emplois d’ici 203017» par la réalisation de l’Agenda 2030.

Ces emplois de la durabilité, ce sont autant de personnes qui gagnent leur vie non à fragiliser les bases naturelles de nos existences, mais à les assurer, emplois dont la création est un des objectifs de la finance durable. Oui la question sociale est la clé de la question écologique, et doit conduire à une sortie de crise qui associe ces deux enjeux.

La 4e idée-force est donc celle d’un nouveau paradigme, d’un nouveau modèle économique, fondé sur la notion de durabilité.

La tâche qui nous attend est une mutation du même ordre que celle accomplie aux États-Unis dans les années 1930 par le Fordisme et le New Deal, et en Europe par le Plan Marshall puis les « 30 Glorieuses ». A savoir le passage du « capitalisme de la pénurie » (où le bénéfice résultait de la vente de peu d’objets coûteux à une minorité aisée) à celui de l’abondance (où le bénéfice se fait sur la vente à la grande masse d’un grand nombre d’objets peu onéreux). A cette phase – devenue obsolescence des biens comme des humains – doit maintenant succéder l’ère de l’utilité, de l’inclusion et du bien commun.

 

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1Cité dans la Fin du travail, 2006, J. Rifkin.
2Rapport sur les inégalités mondiales, synthèse, p. 3, World Inequality Lab, 2021.
3Le Monde, 17 mars 2020.
4Rockström J.,
et al., « Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity », Ecology and Society, vol. 14, n° 2, 2009.
5Boutaud A., Gondran N., L’empreinte écologique, Paris, La Découverte, 2018 (2e Ed.), p. 47, 79 et 82.
6Conilh J., Mounier, sa vie, son œuvre, Paris, PUF Sup, Coll. Philosophies, 1966, p. 27.
7Mounier E., Communisme, anarchie et personnalisme, Paris, Seuil, Coll. Politique n°3, 1966, p. 128
8PNUE,
Vers une économie verte, Nairobi 2011, www.unep.org/french/greeneconomy
9Plan d’application du Sommet mondial pour le développement durable, du 4 septembre 2002, § 14. 10www.maxhavelaarfrance.org/le-commerce-equitable/le-mouvement-international-fairtrademax-havelaar/

11Voir http ://www.fao.org/3/I9049FR/i9049fr.pdf
12https ://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-353-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF
13Voir : Erkman S., Vers une écologie industrielle, comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle, Paris, Charles Léopold Meyer, 2004.
14Voir Swaton S., Pour un revenu de transition écologique, Paris, PUF, 2018.
15Proposée en 2009 par la Confédération syndicale mondiale et reprise par l’OIT. 16www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/—publ/documents/publication/wcms_628709.pdf
17https ://news.un.org/fr/story/2019/09/1052452

 

Exercice philosophique

Amis probables de SAVA, voulez-vous participer à sa biographie imaginaire ?

Si vous voulez participer aux cogitations littéraires et philosophiques de SAVA, c’est à dire Sigismond Amédée-Victor d’Allenbervile, (1901 – 2000) il faut tout simplement faire suite au texte lu par Denis Gardon, dans la vidéo, construit et écrit en cadavre exquis par plusieurs fidèles de la pensée de SAVA.

Et là, permission vous est donné de suspendre votre état de suspension lié à un jugement quelconque et laisser votre imagination vous guider vers ce que les Grecs appelaient le hormé. C’est à dire l’impulsion fondamentale qui nous mène à vivre un genre d’élan vital vers le délire collectif.

Prenez donc votre clavier et continuer le récit énoncé, votre écrit d’une page environ pourra ensuite être continué par un suivant ou une suivante et ainsi de suite … vous en sortirez cher ami et chère amie (sans écriture inclusivido) guide de la déraison en folie ou le contraire, choisissez – choisir est déjà un acte philosophique.

A vos claviers…

Un roman autour de ce personnage est en cours, votre collaboration en sera la bienvenu.

Qui est SAVA ?

Qui est Sigismond Amédée – Victor d’Allenberville ?

Sava est un personnage imaginaire né à Bruxelles dans la fin des années cinquante – début soixante par un groupe de joyeux lurons et luronnes.
Il était chaque fois convié aux agapes que ceux-ci se donnaient entre moules, frites et bonne pinte, mais Sava invité ne venait jamais, ils se partageaient alors le repas commandé pour lui.

Dans les années début 2000, Denis Gardon a prié ce personnage de reprendre existence, celui-ci a répondu présent et chaque premier avril, date de naissance de celui -ci , on fête SAVA (recette de SAVA et confectionné par un artiste pâtissier de la place de Genève).

Pour accréditer l’existence de SAVA, un musée a été créé de 2000 à 2005 autour d’objets ayant appartenu à notre ami.
Ces objets collationnés par des tiers et remis en don à ce musée ludique, actuellement se comptent de 518 objets.

Ce Musée sis à l’époque, dans une villa à Conches a été par la suite montré aux publics au Château de Penthes en complément de l’exposition consacré à Corto Maltese.

SAVA ayant rencontré celui-ci lors de ses pérégrinations dans le monde.

Message de l’animateur du Café Diplomatique

« Tout ce qui dure est soumis à un principe d’intermittence : une dialectique des interruptions et des reprises des commencements et surtout des recommencements »

Elie During (auteur de La métaphysique)

Or, le Café Diplomatique a été confronté à cette mouvance.

Tout d’abord stoppé à cause du Covid 19 comme passablement d’individus – et d’activités ! – puis aussi en brisure du temps avec le décès de Claude Claverie frappée par un mal incurable.
Sans oublier le retrait de l’ami Claude Sumi désireux de se livrer à d’autres tâches.

C’est ainsi que le Café Diplomatique après ce repos forcé reprend, donc, son existence !

Ce site vous est offert, amis du MD, avec la joyeuse appréhension qu’il sera un intermédiaire entre nous.
Vous pouvez aussi contribuer à son existence en nous suggérant des modifications de la marche de nos soirées, des suggestions au sujet de notre curiosité commune… celle de lire et d’analyser les écrits du Monde Diplomatique.

Première suggestion d’importance

À chaque parution du Monde Diplomatique, vous pouvez dorénavant nous suggérer sur ce site le choix d’un article. Ensuite, ce choix sera déterminé par la majorité de vos réponses.

Vos réponses devront impérativement nous parvenir dans la première semaine du mois en cours.

Raison technique : entre le 10 et le 15 du mois en cours, le Café Diplo de Genève doit communiquer au siège de Paris les données informatives relatives à notre programmation qui paraît alors dans le journal du mois suivant.

Deuxième suggestion

Si pour une raison ou une autre, vous ne pouvez pas être présent, vous pouvez alors sur ce site transcrire votre analyse et commentaires.

Merci de votre interactivité !

Denis Gardon

Thèmes au programme du 11 octobre :

Un article du Monde Diplomatique du mois de septembre 2022 :

  • L’article de Serge Halimi et de Pierre Rimbert
    • Un voluptueux bourrage de crâne
  • Analyse de l’article et de l’iconographie de Jane Lewis illustrant l’article à la page 28
  • Analyse d’un article (écriture et iconographie) et éventuelle confrontation avec d’autres écrits sur le même sujet.
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